La feuille de laurier

Jean Giono. Pour saluer Melville

Des orages d’automne étaient couchés sur tout le pourtour du plateau. Il montra une échancrure de ciel entre deux accumulations de nuages neigeux. Elle avait la forme d’une feuille ; elle était d’un vert nocturne et l’on voyait la profondeur des espaces se creuser à travers la couleur. « Vous souvenez-vous d’avoir tenu dans vos mains une feuille de laurier ? – Oui. – Vous souvenez-vous de la couleur de la feuille ? – Oui. – Sombre comme la nuit ? – Oui. – Mais quand même verte ? – Oui. – D’un vert qui semble venir de très loin et monte à travers la couleur sombre, comme si la feuille était un monde ? – Oui. – Comme si des gouffres extraordinaires s’ouvraient dans la feuille ? – Oui. » Et brusquement, elle eut ainsi cette échancrure de ciel dans la main ; elle sentait les gouffres du ciel s’approfondir dans sa main ; elle les voyait contre son œil. Ce n’était plus le même monde, elle est toute petite et le ciel illimité, c’était, elle, illimitée et le ciel, là, tout petit. Tout simplement parce qu’une fois elle avait tenu dans sa main une feuille de laurier dont la chair est pareille à cette immense poussière de sable vert sombre qu’est la nuit. Et surtout parce qu’une voix venait de le lui dire, de réunir les deux images et d’apporter la lumière.